Le sang du foulard

Le sang du foulard

Feuilleton épisode 2 : L'interrogatoire

Roman-feuilleton

La partie I est sur ce clic

II

 L'interrogatoire

 

Le plus âgé, dont les deux mains étaient posées à plat, bras tendus, de part et d’autre d’une carte dépliée sur la table, dépassait de presque une tête le reste du groupe. Des boucles noires lui tombaient sur un visage poupon aux joues roses qu’éclairaient des yeux verts malicieux. Rémi comprenait qu’il était un « chef », investi d’une autorité probablement justifiée par son âge et son expérience. « Tu veux être scout ? » poursuivit le grand gaillard. Rémi fit les quatre pas qui le séparaient de la patrouille rassemblée. « J’ai vu dans le journal… - Le ‘Daubé’ ? Ah oui ! y’a eu un p’tit truc sur la patrouille !»

- On recrute ! entérina l’un des garçons, ponctuant d’un large sourire.

- Ici, reprit l’aîné, c’est pas un patronage ni une pouponnière !

- Pas de chochotte ! surenchérit l’autre. (Tous les garçons sourirent).

- Tu aimes la nature ?

- Heu…, oui !

- Le camping ? ajouta l’autre.

- Ben…, je crois !

- Faire la popote ? fit un troisième.

- …

- Crapahuter la nuit, sac au dos ?

- Te laver dans une rivière glacée ? tortura le Grand.

- Dormir sur la paille ?

- …Sur les cailloux ?

- …Avec les araignées ?

-…Et des limaces dans ton sac de couchage ?

- T’as peur des vipères ? »

 

Rémi fut un peu décontenancé par cet interrogatoire en règle, se demandant si c’était un réel examen d’entrée ou s’il était l’objet d’un jeu malicieux imposé par la coutume. Le plus jeune des marmots, lequel ne s’était pas encore exprimé, risqua avec une timidité presque coupable : « Tu es catholique ? » Un silence brutal mais non hostile attendait la réponse. De fait, Rémi était croyant, baptisé et fréquentait quasiment chaque semaine la messe dominicale. Cet aspect religieux de l’éthique scoute héritée de Baden Powell lui avait un peu échappé quand il décida de prendre contact, mais la spécificité confessionnelle des Scouts de France ne le gênait pas, bien au contraire. Seul pratiquant assidu dans sa famille, régulièrement moqué par sa mère pour sa ferveur à se rendre à la grand-messe du dimanche, missel à la main, Rémi trouva dans cette question un sujet de satisfaction. La dimension spirituelle du scoutisme originel ne pouvait que l’enthousiasmer ! « Tu es de quelle paroisse ? s’enquit le grand. – Notre Dame. – Je suis enfant de chœur là-bas! » intervint promptement un garçon de quelque 13 ans… Rémi le reconnut: ce visage ? oui, il le voyait quasiment tous les dimanches à la grand-messe. C'était alors un visage de communiant d'image pieuse dont ce garçon vif semblait si différent! Pourtant, oui, la tête « contrainte » soigneusement coiffée avec la raie, sagement fixée sur un surplis au blanc immaculé bordé de dentelles qui recouvrait jusqu'à mi-corps une soutanelle rouge carmin était bien celle-là! Ces « retrouvailles » dans le repaire des Choucas, ô combien inattendues! le firent sourire.

 

« C’est bon, tu es le bienvenu! Je m’appelle Didier mais mon totem c’est Aigle. Ton nom, c’est quoi ? ».

 

Rémi sentit une immense chaleur s’emparer de son cœur. Désormais accepté, il lui semblait que ce local devenait pour lui aussi « son » repaire, instantanément, comme si un coup de baguette magique venait de faire de cette sorte de caveau sinistre et froid un havre de paix et d’amitié ! A cet instant, il se rendit compte que de l’unique petite fenêtre, ouverte au sud, en hauteur, et qui perçait un mur épais en pierres apparentes, dispensait un assez large rayon de soleil qui venait s’éclater sur la table. Les grosses ampoules à abat-jour suspendues au plafond voûté fondaient leur lumière jaunâtre dans le halo chaleureux venu de l’extérieur. La clarté imprécise peu engageante, faite d’un jaune incandescent et d’air bleuté, que Rémi avait observée depuis l’extérieur du local au-travers de la porte au carreau cassé, était comme métamorphosée en un éclairage doré d’une caverne d’Ali-Baba ! D’ailleurs, tous les objets, posés en vrac ou mal ordonnés dans cette salle à l’aspect moyenâgeux, lui donnaient une allure de « caverne aux trésors » ou repaire de brigands recelant les pillages de bateaux abordés ! Les objets n’ont d’authentique valeur que celle qu’on leur prête… Et pour la nouvelle recrue, tout ici lui semblait destiné à satisfaire une vie aux richesses inestimables ! 

 

« Nous avons l’accord du propriétaire des grottes de Pré-les-Fonts, dans le Vercors, pour organiser notre camp d’été sur son terrain », révélait au nouveau le Chef de Patrouille. Le curé du village a l’air sympa : il sera notre aumônier. Aigle posait un index sur la carte, désignant le lieu choisi pour le camp. « On n’est qu’à quatre cent mètres d’altitude mais les falaises sont toutes proches. Les gorges de la Bourne sont en contrebas et c’est bourré de grottes. – Il y a de superbes parois à escalader ! » précisa l’un des garçons. Ce détail effraya Rémi qui avait le vertige : il faudrait donc faire de l’escalade ! Il décida aussitôt de taire son handicap – qui vivra verra ! se dit-il.

« Tu es claustrophobe ? demanda un garçon (Rémi échappait à la question ‘tu ne crains pas le vertige ?’).

- J’ai toujours rêvé faire de la spéléologie ! assura le nouveau venu (et c’était vrai).

- Tant mieux ! Parce que c’est notre hobby principal, à la patrouille, réagit Aigle.

- Tu as dû remarquer le matériel ? poursuivait un autre.

- Le « matos » pour les explos…, crut devoir préciser le petit.

- Tu as un vélo ?

- Notre totem de patrouille, c’est le choucas ! fit le petit avec fierté.

- J’ai vu votre drapeau.

- …Un fanion !

- C’est un oiseau qui adore les rochers et les ruines…, enseignait un « moyen » à lunettes rondes et à la physionomie d’intellectuel. Il niche aux creux des falaises…

- On a fait de son cri notre appel de ralliement ! »

 

Le petit se mit à crier tel un choucas et à « battre des ailes » avec ses bras…, aussitôt imité par le reste de la patrouille dans un joyeux jacassement - ou plutôt « chjakassement ». Les scouts commencèrent alors une amusante sarabande en tournant autour de la table tout en « battant des ailes » et en sautillant. L’un des garçons quitta la pièce pour aller « s’ébattre » dans l’obscure « antichambre » avant de revenir à la lumière. Rémi ria de bon cœur, rassuré de ce que la patrouille était également un groupe de joyeux lurons, capable de s’abandonner à des fantaisies puériles. Il comprenait que sa présence - ou plutôt son arrivée -, était à l’origine de cet entrain collectif qui était la réponse enthousiaste du groupe à son désir d’être intégré. Les « Choucas » étaient cinq…, désormais, ils seraient bien « six », soit un effectif plus proche de la norme réglementaire !

 

Grâce à un épluchage de pommes de terre, la Providence venait de pourvoir au besoin de la Patrouille de la Côte Saint-Martin !  

 

La suite sur ce clic…  

 

 

 



28/12/2014
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