Le sang du foulard

Le sang du foulard

Feuilleton épisode 3 : Repérages

Roman-feuilleton

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III

Repérages

  

La patrouille des Choucas se transporta dans le cirque de Pré-les-Fonts le samedi de la semaine suivante. Le camp se ferait en juillet mais la proximité géographique du lieu choisi permettait de se rendre sur place le temps d’un week-end, pour le préparer. Aigle ne voulait négliger aucun détail ! Ce garçon de quinze ans, au visage enfantin mais à la tête mature, avait noté sur un calepin tous les points à vérifier, les repérages à effectuer, les contacts à entreprendre, les activités à envisager, etc. Louveteau aux « SDF » depuis l’âge de huit ans, dans l’unité de Mantes-la-Jolie, non loin de Paris, Didier-Aigle-Fonceur, futur « CP » des Choucas, avait quitté le clocher de l’Île de France pour suivre sa mère quand elle rentra « au pays » après le décès accidentel du chef de famille. L’adolescent ne regrettait rien de cette plate ville du nord-ouest où il était né, rapidement conquis par le climat et les paysages variés et montagneux du sud-est de la France, sa nouvelle terre. Mis en relation avec d’autres garçons de sa ville d’adoption, via un patronage de paroisse, Aigle Fonceur forma la première « patrouille Libre » (« PL ») de Saint-Ange sur Rhône. Jusqu’après la guerre, une unité scoute fournie et très active avait existé puis disparu vers 1950, faute de combattants. Un trentenaire, Jacques Maurice, « Hibou Paisible » pour les scouts, était le seul « rescapé » actif de l’ancienne unité. Répondant aux demandes occasionnelles des troupes voisines, notamment pour les grands camps, il s’était réjoui quand un « SDF » (alors âgé de 12 ans) avait posé son sac à dos à Saint-Ange… Tout en gardant quelque distance avec la jeune troupe, qui vivait bien son autonomie, Hibou Paisible lui donnait généreusement de son temps quand elle le sollicitait. Conformément à l’esprit du mouvement des Scouts de France, il assurait le parrainage de la « PL » et faisait office de maillon entre les Choucas et l’institution officielle.  Hibou avait passé à Aigle un virus…, celui de la spéléologie ; le massif du Vercors, « truffé » de grottes et gouffres, constitue un terrain d’explorations souterraines presque aux portes de la ville. Pour que le portrait soit complet, il faut ajouter que Jacques Maurice était particulièrement apprécié, aussi… en tant que « transporteur » (pour ne pas dire chauffeur de taxi), lorsqu’il utilisait sa « deux pattes » Citroën au profit de la patrouille !

 

Déjà, au début du printemps, Hibou avait accompagné Aigle à Pré-les-Fonts, dans les gorges de la Bourne, pour y rencontrer le curé du village. Le prêtre se montra tout disposé à aider la troupe pour organiser son camp et en être l’aumônier. L’abbé s’était aussi porté garant de la collaboration du maire. Bref, « tout baignait » pour le prochain camp d’été des Choucas ! Cerise sur le gâteau : le hasard leur préparait même une Grande aventure… que l’Aigle avisé n’avait nullement esquissée sur son calepin de chef de patrouille !

 

Aigle pédalait en tête, bien devant le peloton de « ses » cinq scouts, afin de leur ouvrir la route en éclaireur. Le parcours, depuis le début de l’ascension du massif, était sinueux, fait de lacets aux virages sans visibilité, et nécessitait vigilance et prudence de tous les instants. Le second de pat’, Stéphane, 14 ans, alias Wapiti Têtu, fermait le cordon, un foulard rouge noué au bras gauche pour signaler le groupe aux automobilistes de derrière. Partis de Saint-Ange tôt le matin, et après une courte étape avec en-cas à Pont-en-Royans, au début des gorges, ils arrivèrent au village en milieu de matinée. Une fontaine d’eau fraîche alimentait un lavoir situé en face de l’église. Mouillés de sueur, les Choucas s’ébattirent en se projetant de l’eau comme à la plage. Rémi, qui se désaltérait pour la première fois à une fontaine d’eau cristalline, eut un plaisir intense à goûter à ce rafraîchissement naturel et gratuit - cette première gorgée d'eau de source, il allait s'en souvenir toute sa vie. Chacun emplit sa gourde en aluminium, qui, une fois rebouchée, refroidie, se recouvrit instantanément d'une sorte de rosée. On cadenassa les vélos sous le lavoir avant d’aller frapper à la porte du presbytère. C’était depuis l’étroit perron de l’église, à deux pas, que la voix du curé se fit entendre. « Je suis là ! » lança-t-il. La patrouille entra dans l’édifice, dont la température leur parut glaciale, sacs aux dos, guidée jusqu’à la porte de la sacristie qui donnait sur le presbytère, à droite de l’autel. Un bedeau se livrait au nettoyage en règle des toiles d’araignée qui ornaient les anfractuosités en brandissant contre ses ennemis une perche munie d’un « hérisson »; le vieil homme, maigre comme un clou, voûté et au visage décharné, regardait les nouveaux venus avec des yeux de rats, sans articuler le moindre mot. Quant au curé de Pré-les-Fonts, c’était un quadragénaire d’allure sportive, à la mine avenante, que l’on aurait bien vu guidant un groupe de randonneurs, portant knicker et chemise à carreaux plutôt que sa soutane noire rapiécée et raccommodée ! « J’occupe régulièrement la fonction d’aumônier pour des camps scouts ! » précisait-il, en introduisant les garçons dans la salle à manger qui sentait le bois et la cire d'abeille. Il servit aux cyclistes fatigués du sirop de grenadine et leur proposa de croquer des noix de Grenoble de la saison dernière. En moins d’une heure, Aigle et l’abbé Gerland avaient scellé un accord de partenariat… Il fut notamment stipulé que durant leur séjour estival, les deux membres de la patrouille qui étaient enfants de chœur répondraient la messe dominicale, voir quelques autres, pour remplacer les servants de la paroisse qui, eux, seraient partis en vacances justement à ce moment-là. L’abbé Gerland avait d’ores et déjà « négocié » l’emplacement de la tente, à dix mètres de l’unique source du hameau « Le Pra », un pâté de maisons inhabité blotti en contrebas de la route des grottes. De plus, l’abbé avait obtenu du « père Arnaud », vieux paysan célibataire qui vivait dans une ferme isolée au-bas du « cirque » - ainsi qu’on appelait le cercle de falaises où s’ouvraient les grottes -, que les scouts puissent passer la prochaine nuitée dans sa grange.

 

 

La patrouille des Choucas grimpa avec leurs engins les deux premiers kilomètres de terre battue de « la route des grottes ». Les corps arc-boutés sous le fardeau des sacs, debout sur les pédales, quatre garçons en chemise brune et bérets noirs, ruisselants de sueur, eurent raison de la pente à force de zigzaguer pour garder l'équilibre. A mi-parcours, deux autres avaient renoncé à rester sur leur monture, qu’ils préférèrent tirer à pied. On les attendait assis sur le talus, près de la source, au-dessous du parterre herbeux qui était promis comme aire de campement. Rémi était l'une des deux lanternes rouges. Le novice avait abondamment mouillé son uniforme sans rechigner; sans attendre qu'il fasse « ses preuves », Aigle lui avait prêter une vieille culotte de velours « réglementaire » usée jusqu'à la corde ainsi que son ancien béret de louveteau et Wapiti une chemise scoute « officielle » tout aussi durement éprouvée ! Le garçon « nageait » doublement dans sa tenue de fortune - tant les vêtements trempés de sueur étaient trop amples pour sa taille ! Mais pour rien au monde il aurait renoncé à revêtir l'uniforme qui l'assimilait à la Patrouille Libre de Saint Ange. Ses parents lui avaient promis d'acheter la tenue et les accessoires à La Hutte, fournisseur officiel des Scouts de France, dont un magasin revendeur existait au chef-lieu du département... si son intérêt pour le scoutisme persistait. Il brûlait d'impatience de posséder son « poignard scout», son ceinturon avec la boucle frappée de la croix potencée à fleur de lys avec la devise « Toujours prêt », son sifflet, sa boussole... Une ceinture ordinaire « civile » était la seule anomalie de sa première tenue.  Quant au foulard, il fallait attendre d'être accepté par la patrouille et de faire sa « promesse ». 

 

La suite est ici...

 

 

 



01/01/2015
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