Le sang du foulard

Le sang du foulard

Feuilleton épisode 13 : Epouvante au camp

L’épisode XII est ici

 

XIII

Épouvante au camp

 

La grille claqua sur son cadre métallique aussi sinistrement que la porte d’une geôle moyenâgeuse. Robert Leblanc, qui avait été victime d'intrusions nocturnes répétées de spéléologues « sauvages » ou de vandales, tenait à maintenir fermé l’accès à la grotte. Comme convenu, le CP sortit de sa poche la clef, la tourna une fois dans la serrure, puis la replaça sous sa pierre à l’intérieur ; à leur retour du réseau des Soupirs, la demi-patrouille des Choucas la retrouverait donc pour débloquer le portillon. Baume Étrange était maintenant rendue au silence et aux ténèbres - un silence de mort. Dans les entrailles de la montagne, trois jeunes scouts respiraient quelque part l’air humide de la caverne. La grille verrouillée était fermée derrière eux et rien ne trahissait leur présence à l’intérieur. Rémi pensa que c’était un peu comme s’ils n’existaient plus. Tout cela l’impressionnait vivement, lui pour qui le monde souterrain était encore un univers fantastique, profondément mystérieux et un peu magique…

 

Sur le parc de stationnement, six vélos appuyés contre le talus supérieur et non cadenassés attendaient leurs propriétaires. Les sacs tyroliens des trois Choucas en «équipe de nuit », avec leurs uniformes, étaient restés derrière la buvette de la grotte. Rémi eut une sensation désagréable à la vue des trois bicyclettes que l’on abandonnait sur le vaste parking désert, avec une légère appréhension mêlée de cette même angoisse qui l’avait saisi au bord du « soupirail de l’enfer », quand les bruits de reptations de ses trois frères scouts se fondirent dans un silence de sépulcre.

 

La lune, avec son dernier quart désormais épinglé bien au-dessus des falaises de Pré-les-Fonts, folâtrait avec une myriade d’étoiles scintillantes. La muraille calcaire de Baume Étrange, en demi-cercle au-dessus de ses buis centenaires, était enduite de luminescence. Grâce à la lune, on distinguait tous les détails de la haute falaise. Sur la route du Pra, les trois Choucas n’entendaient plus que le crissement de pneus de leurs bicyclettes. La nuit était si claire que l’on aurait pu rouler tous feux éteints. La route dessinait ses courbes légères à travers les éboulis qui s’élevaient jusqu’au pied de la paroi calcaire. La végétation était devenue noire, parée de reflets argentés. La longue barrière rocheuse qui surplombait le camp, taillée d’aspérités, était ciselée d’ombres fines et mystérieuses. Mais les garçons, bien que non insensibles à la beauté du paysage, étaient gagnés par la fatigue et avaient hâte de se glisser dans leurs duvets !

 

Les toits du hameau, en contre-bas, renvoyaient avec leurs tuiles romaines une clarté métallique. Un silence de plomb pesait sur Le Pra. Heureusement, le désormais familier son cristallin de la fontaine ne cessait de donner un filet de vie à ce lieu décidément trop calme.

 

On savait que Wapiti et ses « acolytes » rentreraient vers trois heures du matin. Un espace avait été aménagé dans le « marabout-kraal » afin qu’ils puissent se coucher sans réveiller la « chambrée » de la tente-dortoir officielle. Très vite et sans bavardages, les scouts sombrèrent dans le silence de l’endormissement. Rémi ne put s’empêcher de dire en son cœur, et du bout des lèvres, ses prières favorites : le « Je vous salue Marie » et le « Notre Père » ; il s’agissait pour ce garçon pieux – et qui n’osait pas l’afficher -, d’exprimer sa sincère reconnaissance à Dieu et à la Vierge en Les gratifiant pour les moments forts et passionnants qu’il était en train de vivre (Rémi, depuis sa « petite communion », avait toujours cru déplaire à l’Un ou à l’Autre s’il s’était contenté que de l’une ou de l’autre de ces prières emblématiques!). Le sommeil le saisit avant qu’il eût achevé…

 

Le jeune novice fit un rêve étrange. Il se vit coincé dans le laminoir, étouffant puis, une fois de l’autre côté, se vit seul et sans compagnons dans une petite salle où il ne pouvait se redresser tant le plafond était bas ; en uniforme scout souillé de boue, le béret sur la tête, muni d’une seule torche, il découvrait une paroi alvéolée d’excavations dont trois étaient occupées par des crânes humains ! Il appela ses « frères scouts » qu’il savait être demeurés de l’autre côté du laminoir. Nulle voix ne lui répondait. Il constatait soudain que les têtes de mort avaient disparu ; en revanche, la paroi était maintenant couverte de graffitis noirs - de traces marquées au charbon de bois ou à la suie de flamme d’acétylène. C’était des noms propres : parmi ces noms, il pouvait lire Wapiti, Panthère et Renard ! Sur le glacis du sol, il remarquait trois taches de sang… Puis il entendit la voix énergique et sûre de Wapiti têtu : « On est là ! » ; il se retourna et ne vit qu’une salle obscure et sans fin, un immense trou noir dont l’air glacial lui donnait une claque ; au fond, au centre de ces ténèbres, une flamme de bougie vacillait.

 

Un crissement de terre caillouteuse se substitua au silence glauque : cela venait de derrière son dos…

 

Il se redressa subitement, se retrouvant éveillé assis sur sa couche, le corps en sueur, tentant de percer la pénombre de la tente. Le clair de lune ne traversait pas la double structure en coton épais mais filtrait un peu au-travers de la toile de la porte. Cette voix ? Ces bruits de sol caillouteux écrasé ? Il tendit l’oreille, ayant ramené le haut de son duvet jusqu’au cou parce que la fraîcheur de la nuit refroidissait la sueur de ses épaules. Il n’osa pas appeler, craignant de réveiller inutilement ses compagnons. Des « pas » mystérieux se mirent à écraser le sol, lentement, à une dizaine de mètres du couchage, probablement sur le début de la courte piste qui menait à la prairie. Les pas s’arrêtèrent puis reprirent. Assurément, il s’agissait là d’un seul visiteur et nullement des trois Choucas spéléos. Rémi se résolut à secouer l’épaule de Aigle, lequel ronflait à ses côtés. Le CP gémit brièvement, sans donner signe d’éveil, totalement enfoui dans ses rêves. Rémi renonça à réveiller Mouche. Il regarda le cadran de sa montre; les chiffres étaient phosphorescents : il n'était pas deux heures. L'équipe de nuit devait entrer vers trois heures. Le cœur du novice battait plus vite. Il saisit une torche qui dormait à sa tête, la dirigea sur l’entrée de la tente tout en s’abstenant de l’allumer. Les crissements s’étaient tus tandis que les pas inconnus écrasaient à présent l’herbe du camp, entre le mât et le kraal. Rémi avala sa salive et fut secoué d’un vif tremblement d’épouvante. Un vent léger se leva et fit frissonner la toile de tente; le jeune garçon sursauta, ayant d'abord pensé que c'était quelqu'un qui secouait le double-toit.  Puis il crut entendre la bâche du marabout – celle qui en fermait la porte -, soulevée par les mains de l’inconnu. Puis ce ne fut plus que le souffle du vent, par intermittence, annonciateur d’un changement de temps.

 

« Aigle ! » chuchota Rémi, en pressant les épaules du CP. Le chef de patrouille se réveilla enfin. « Y a quelqu’un sous le marabout… - Ben ? C’est Wapiti et les autres ! – Non ! Je n’ai entendu que les pas d’un bonhomme… - T’es sûr ? – Oui, oui ! » Le CP sortit de son sac de couchage, revêtit sa culotte de velours et posa un chandail sur ses épaules. Rémi faisait de même.

« Pas la peine de réveiller Mouche ! décida le CP.

- Un voleur ?

- Faut voir !

- On prend ça ? »

Le novice s’était emparé de son couteau scout, dont la lame large et suffisamment pointue eût pu percer un abdomen !

« T’as raison ! » approuvait le CP.

Et Aigle chercha son poignard qu’il sortit de sa gaine.

« Ouvre la fermeture éclair doucement, très doucement ! » ordonna à voix basse le CP.

Les deux garçons, armés de courage et un peu inconscients, encore ensommeillés et dans les vapeurs oniriques, sortirent de la tente à quatre pattes, se redressèrent sans bruit, avancèrent d’un pas sur la pelouse.

 

A la lisière de la prairie, le marabout était partiellement ouvert. Une bourrasque de vent fit crisser le mât de sapin qui oscillait dans le ciel étoilé. Une gamelle oubliée près du foyer s’envola à ras le sol pour aller choir bruyamment contre une pierre. Encore tout près de leur tente, les deux scouts portèrent leur regard sur le marabout absolument silencieux.

 

Une bougie brillait dans le kraal.

 

La suite sur ce clic...

 

 



04/04/2015
4 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Nature pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 73 autres membres