Le sang du foulard

Le sang du foulard

Feuilleton épisode 12 : Soupirail de l’enfer

L'épisode XI est ici

 

XII

Soupirail de l’enfer

 

Le soleil était caché derrière les falaises du  « cirque du Bournillon » - les vertigineuses parois calcaires creusées en fer à cheval de l’autre côté des gorges de la Bourne, bien au-delà de Pré-les-Fonts -, quand la patrouille libre des Choucas se rassemblait en carré autour du mât, chacun ayant pris soin d’arranger son uniforme et de fixer son béret à l'épaulette gauche. Le CP commanda « Attention pour les couleurs ! – Parés ! répondirent les deux servants Wapiti et Panthère –  Envoyez ! » ordonna le CP. Le drapeau tricolore fixé à la drisse glissa lentement sur le tronc parfaitement lisse du sapin. Les deux servants plièrent consciencieusement le drapeau puis, chacun en tenant une moitié, allèrent le déposer cérémonieusement au « kraal », noble lieu abrité dans le marabout-intendance dans un petit espace dédié.

 

Un repas copieux fut partagé autour du feu de bois dont la fumée montait toute droite dans le ciel tant il n’y avait pas le moindre souffle d’air. Quelques petites bûches données par l’abbé Gerland, après la messe du matin, nourrissaient de grandes flammes qui allumaient toute la prairie. « L’étendard-corsaire » (si cher à Rémi) de la patrouille libre s’éclairait de lambeaux de lumière animés comme des feux follets. Aigle constitua la première équipe de « désob’ ». Renard, Panthère, avec pour « chef  de mission » le second de pat’ Wapiti, feraient le « premier quart ». En fait, il devait s’agir de l’unique équipe pour cette « nocturne » inaugurale. D’un commun accord, on décida que le second groupe, composé du reste de la patrouille, prendrait le relais seulement le lendemain, après le « PDDM » (petit déjeuner du matin). Le groupe de Wapiti s’accordait tout au plus quatre heures de « désobstruction ». Un léger casse-croûte et des gourdes d’eau les accompagneraient. Ils se mettraient en « tenue d’exploration » à l’entrée de la grotte. La prière commune fut faite autour des braises que Mouche venait de couvrir avec des pierres plates et, finalement, toute la patrouille quitta le campement du Pra car on avait voulu accompagner les trois équipiers de la nuit jusqu’à l’entrée du réseau des Soupirs. Le voyage se faisait bien sûr en vélo. Aigle, Mouche et Rémi gardaient sur leurs épaules les sacs à dos des explorateurs « de service » afin d’épargner leurs efforts. Ces sacs tyroliens étaient gonflés par les combinaisons alourdies de terre séchée, les chandails de laine, les casques et lampes à acétylène et les bottes. Malgré ces fardeaux encombrants, les scouts-spéléologues pédalaient avec entrain, stimulés par les aventures qui les attendaient. La route, à partir du Pra, n’accusait qu’une pente légère. De plus, la fraîcheur du soir et le ciel étoilé, ainsi que le paysage à demi éclairé par une lune encore en coulisses derrière la montagne située à l’est, faisaient de cette escapade nocturne une vraie partie de plaisir.

 

Plusieurs fois durant le trajet, le « cri des Choucas » fut lancé à la cantonade, tantôt par un cycliste, tantôt par un autre, à chaque fois repris par l’ensemble du « peloton ». Des lapins et lapereaux déboulèrent du talus supérieur, coupèrent la voie aux garçons (mais non la voix !) pour gagner le fossé opposé.

 

« Chjak-chjak-chjack ! Choucas-choucas…

- Toujours-alerte ! »

 

Sur l’esplanade de Baume Étrange, les trois spéléos se changeaient tandis que Aigle et Mouche préparaient les lampes à acétylène – sous le regard attentif de Rémi. Le carbure déposé dans la partie inférieure, les bonbonnes consciencieusement vissées, les réservoirs d’eau furent remplis dans la rivière qui sortait de la grotte. L’odeur du gaz se répandit rapidement dans l’air. Rémi y était désormais assez familier : il y avait eu le tonnelet de carbure entreposé dans le mastaba puis ce fameux dîner au local, un samedi soir. Sur chacun des casques, une flamme bleue puis blanche très vive surgit comme par magie dans un sifflement aigu de gaz sous pression. Les spéléologues, qui connaissaient bien leurs lampes, savaient aussitôt en régler le débit ; il suffisait de tourner dans le sens des aiguilles d'une montre le « robinet », qui était en fait une sorte de pointeau vissé sur le réservoir. L’éclairage jaune, chaud, puissant, illumina la paroi de Baume Étrange et toute son esplanade. Rémi fut stupéfait par l’efficacité de ce système d’éclairage – encore plus spectaculaire en extérieur qu’il ne l’avait été dans le repaire de pirates des Choucas !

 

Wapiti prit la clé que Robert Leblanc tenait cachée sous une pierre, grimpa l’escalier de la grotte et la glissa dans la serrure du portillon. Rémi découvrit encore un autre visage de Baume Étrange : les lampes frontales à flamme d’acétylène inondaient de leur lumière « veloutée » si caractéristique les galeries étroites et salles féériques de la caverne. Déjà plus mystérieuse avec les lampes torches, elle l’était encore davantage avec l’éclairage des spéléologues. Chaque silhouette de la file indienne prenait une forme en contre-jour qui métamorphosait les frères scouts du novice en étranges aventuriers des mondes obscurs ! Le martèlement des semelles de bottes sur le ciment humide ou mouillé, le bruit de frottement des combinaisons sur les parois, le son des voix amplifiées qui se diffusaient dans les hauteurs des failles, tout contribuait à ajouter une dimension fantastique à cette nouvelle incursion.

 

Après avoir quitté le circuit aménagé, la troupe des Choucas s’avança encore sur la dizaine de mètres de galerie étroite qui éloignaient le « laminoir » de la partie touristique. Arrivés au point où ils s’étaient arrêtés la première fois sous la conduite du jeune Xavier Leblanc, Aigle, Mouche et Rémi devaient « abandonner » leurs frères. Wapiti se coucha à plat ventre, commença à ramper à l’intérieur de cet étrange soupirail, y avançant en reptation sur un sol bosselé dur et lisse - mouillé par les eaux d'infiltration. Il fallait ôter le casque et le pousser devant soi tant le plafond était bas ! Large d’épaule, le torse épais, Wapiti têtu resta un moment coincé, dut faire marche arrière, recommencer sa tentative… Il essaya sur le dos, sans succès, et réessaya sur le ventre. A plusieurs reprises, Wapiti dut faire une pause pour reprendre son souffle et retrouver de l’énergie. On l’entendit même jurer et déclarer son intention de renoncer ! « Allons, Wapiti têtu ! Tu es un choucas ! » Quelqu’un cria : « Chjak-chjak-chjack ! - Choucas-choucas…, fit la voix diminuée de Wapiti. - Toujours-alerte ! » ponctua Renard bavard, tandis qu’il essuyait la buée de ses lunettes… en les souillant de boue ! «  Chou…cas… Chou…cas… » semblait s’épuiser la voix d’outre-tombe. Après un bref silence mat, un cri victorieux, bien qu'altéré par l’étroit passage, rassura le groupe :  « Chjak-chjak-chjack ! Je suis passé ! – Choucas-choucas…, fit le CP, jubilatoire. - Toujours-alerte ! » répondirent en chœur ses scouts.

 

Panthère puis Renard disparurent à leur tour. Pendant plusieurs minutes, les trois scouts demeurés accroupis devant le passage infernal entendirent les raclements de combinaisons et les soupirs… Peu à peu, les bruits s’effacèrent, absorbés par l’épaisseur de la roche.

 

Puis ce fut le silence.

 

...

 

Proies volontaires, Wapiti têtu, Panthère bondissante et Renard bavard avaient été happés, escamotés, comme soustraits du monde des vivants…

 

 

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05/05/2015
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