Le sang du foulard

Le sang du foulard

Feuilleton épisode 7 : Le « 12 » en ébullition

 

Roman-feuilleton

 

La partie VI est sur ce clic

 

VII

 Le « 12 » en ébullition

 

Au local de la cote Saint Martin, le jeudi suivant, la patrouille au complet rassemblait le matériel nécessaire au camp. Aigle allait d’une pièce à l’autre, déplaçant, contrôlant, rassemblant et supervisant. Il donnait des ordres, appelait, pestait… Le second de pat’, Wapiti, faisait relais entre le chef et le reste de la patrouille. Il s’agissait de préparer le matériel de camping, les accessoires utiles à un séjour scout réussi, les outils, sans oublier de vérifier les équipements individuels et collectifs d’escalade et de spéléologie. Mouche s’appliquait à nettoyer en les débouchant les « becs acétylène » des casques d’exploration – qui étaient des coiffes de chantiers en plastique épais ou casques de motos ; il y avait même un casque de la « dernière guerre » ! Tous étaient « montés » d’un système d’éclairage – le bec de gaz fixé sur le devant par des « systèmes D » parfaitement éprouvés ! Deux casques possédaient en plus (suprême luxe) une ampoule électrique reliée à un petit boitier vissé sur l’arrière, qui n’était autre qu’une boîte à savonnette. Mais rien ne valait le pittoresque assemblage de Hibou paisible qui dormait sur une étagère : un casque de chantier surmonté d’un cuilleron de louche noirci par la suie qui servait de réflecteur. Jacques Maurice, fraiseur de métier, habile à « tourner » et à forer le métal, avait adjoint au bec de gaz une molette de pierre à briquet permettant de l’allumer.

 

Des combinaisons « de mécanicien », en toile de coton dont la couleur bleue se rapprochait de celle de la terre, s’alignaient sur des cintres dans l’antichambre. Ces vêtements d’exploration avaient triste mine ! Usés, râpés, troués, déchirés, rapiécés, ils témoignaient de la réalité des excursions souterraines de la patrouille. Aigle autorisait Rémi à s’en dispenser (le « bleu de travail » coûtait cher et ses parents n’étaient pas à l’aise financièrement) ; il pourrait les suivre sous terre avec un jean et un pull-over. « Mon père a un vieux casque de moto, je pense qu’il me le donnera », espérait le novice. Quant à l’éclairage, la patrouille avait de quoi équiper tout le monde. Les cordes d’exploration, d’un diamètre de 10 mm, en chanvre ou en nylon, elles aussi « couleur terre », étaient vérifiées centimètre par centimètre. Cette tâche incombait à Renard et au second de pat’. Panthère était chargé de contrôler les échelles en les déroulant: chacune mesurait dix mètres, faites de câbles inoxydables et de barreaux en aluminium. Rémi, qui « en était encore » aux échelles de corde avec larges barreaux en bois de l’époque héroïque des premières explorations souterraines, vues dans des photos anciennes, fut ébahi par les échelles modernes ! L’étroitesse des barreaux (moins de quinze centimètres) l’effraya un peu… Comment pouvait-on monter sur de telles échelles ? Mais, bah ! il saurait bien apprendre ! Un petit tonneau en métal contenant du carbure patientait dans un coin de l’antichambre. Mouche se fit un plaisir d’y entrainer Rémi pour soulever le couvercle du tonnelet et lui montrer à quoi ressemblait le carbure de calcium, ces étranges « cailloux » gris pâle, aux côtés plats et bords acérés, dont le contact avec l’eau produisait du gaz inflammable. Une légère odeur d’œuf pourri et d’ail s’exila du récipient – que Rémi ne trouvait pas désagréable. « Avec une bonbonne pleine, on a cinq à six heures d'éclairage ! » assurait le petit, tout heureux d’en apprendre à un aîné. Il ouvrit une « calebombe » pour en expliquer le fonctionnement, y disposa quelques « cailloux » de carbure. La voix du CP tonna dans la pièce contiguë. « Qu’est-ce vous foutez ? Bon sang ! Y a du boulot ici ! ». Les yeux malicieux de Mouche regardèrent Rémi d’un air entendu. « Bon ! Je crois qu’il faut y aller ! » dit le novice.

 

Le samedi qui suivit, les six choucas se démenaient pour rassembler l’ensemble du matériel dans « l’antichambre » (que Rémi se plaisait à appeler le mastaba - fasciné qu'il était par les sépultures de l'Egypte antique), cette première pièce sans fenêtre, humide et fraîche comme un caveau, jusque-là occupée d’objets hétéroclites dispersés sur une dalle de béton jamais balayé - et garage à vélos de la patrouille. Pour y permettre l’amoncellement du matériel de camp, deux choucas avaient préalablement rangé sur les côtés vieilles planches, cartons poussiéreux, caisses pleines ou vides et la précieuse charrette de pat’, cet engin sur roues de bicyclette muni d’un bras pour être tiré à pied ou accrochée à un vélo ; la « rosalie » avait été fabriquée par les scouts dès le début de la création de la patrouille et avec le précieux concours de Hibou paisible, fort de son savoir-faire de scieur de métal, soudeur, perceur, « taraudeur », et de ses outils de spécialiste – certains éléments ayant été façonnés chez un serrurier scout de la troupe d’une ville voisine ! Pour la conquête estivale du massif du Vercors, il n’était pas question de se « coltiner » la rosalie au cul de la bicyclette ! La charrette ferait relâche au début de l’été, remplacée par sa doublure titulaire : la « deudeuche » à Hibou paisible ! Jacques Maurice monterait le « matos » et resterait les premiers jours du camp…

 

Le mastaba, quand il était éclairé de sa grosse ampoule à tungstène, n’était pas dénué de charme ! La voûte en pierre, qui s’acoquinait sans complexe avec d’envahissantes toiles d’araignées d’un autre âge, surmontait les murs en pierre apparente au mortier poudreux. Un vieux meuble-vitrine de "récupération", pourri jusqu’à la moelle, occupait un côté de la pièce ; les trésors de la patrouille y étaient exposés derrière les vitres dont le dernier nettoyage devait remonter à des lustres : des crânes et mâchoires de rongeurs, des morceaux de stalactites ou mites, des dents d’ours de caverne, quelques ossements indéterminés et même… une tête de fémur humain avec « le quart de bassin » assorti ! Ces dernières reliques, qui avaient perdu tout aspect macabre, avaient été remontées d’un aven sud-ardéchois où les choucas avaient entrepris une « désobstruction » ; à six mètres de profondeur, Mouche, transporté de joie par sa découverte, avaient extrait d’entre les pierres les deux morceaux de squelette humain ! Après un débat contradictoire présidé par Aigle, une décision avait été prise à l’unanimité : on garderait confidentielle cette trouvaille – nonobstant que ces restes pouvaient être ceux d’un homme préhistorique ou d’un contemporain victime de meurtre… Ces « pièces à conviction » avaient été présentées à un pharmacien ami, entomologiste et spéléologue, qui assura… ne rien pouvoir assurer ! Les os étaient trop secs, trop propres pour être datés à vue, ou alors il fallait un examen en laboratoire et la datation au carbone 14 – trop coûteuse. « Ces os peuvent aussi bien avoir deux mille ans que cent cinquante ans ! » avait déclaré le savant. Les scouts imaginèrent que le squelette disloqué demeurait encore sous les tonnes de cailloux dont ils avaient remuées une partie… Le mystère restait entier. Mouche affirma à Rémi qu’il était question que la patrouille retournerait un jour sur le site… et y reprendrait les investigations relatives à cette « enquête criminelle » ! Un magnifique crâne de bélier adulte, intact, orné de superbes cornes en spirale, posait ses orbites suspicieuses sur l'assemblée, depuis son crochet, sur le mur du fond du mastaba. La poussière qui le poudrait ne lui ôtait en rien sa majesté et le polissage naturel de la matière osseuse lui conservait une « fraîcheur » étonnante. Il décorait l’antichambre à la façon d’un trophée. « Je suis bélier ! avait révélé le nouveau, le jour où il avait remarqué le crâne. – Nous, tu sais, l’astrologie…, c’est pas trop notre truc ! » avait rétorqué Aigle. Ce crâne avait été ramassé à quarante-cinq mètres de profondeur, dans le « scialet de La Plante », gouffre béant qui ouvrait une gueule impressionnante sur les hauts plateaux du Vercors et que le jour éclairait jusqu'au fond. « On t’y amènera ! promit le CP. C’est un super trou, très ce qu’il faut pour l’initiation au ‘rappel’ ! – Quand t’es au bord, tu ‘balises’ ! se plut à ajouter Wapiti. – C’est le trou qui me fait le plus flipper ! » surenchérit Renard… Le novice ne disait mot, affichant une sérénité factice, soucieux de dissimuler son vertige chronique. 

« Rassure-toi ! tempéra Aigle, les grottes de Pré-les-Fonts, c'est presque du tout plat !

- Des galeries horizontales et des chatières…, précisa Panthère.

- T’es pas claustrophobe, au moins ?

- Du tout ! j’adore visiter les souterrains !

- J’ai reçu de M. Leblanc les « topos » de Baume Étrange, ajouta Aigle. C’est un vrai labyrinthe : ce qu’on visite en touriste, c’est du boulevard comparé aux galeries pas aménagées. Demain, je l’apporterai. »

 

Les seules expériences de progression souterraine de Rémi s’étaient faites dans une étroite galerie d’une colline calcaire de Saint Ange, en compagnie de son meilleur ami de collège : une reptation de quelques mètres sur le sable gris d’une minuscule galerie naturelle qui creusait la colline. Après quelques trois ou quatre visites des cavités des « grottes à Mandrin », où tous les gosses intrépides de Saint Ange avaient déchiré culottes et pull-overs, Rémi et son copain s’étaient lassés de cette « spéléologie » puérile… « Là…, si tu aimes ramper dans les boyaux, tu te feras plaisir ! annonça Aigle, des super chatières sont marquées sur la topo ! ».  

 

 

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01/02/2015
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